Saturday, September 18, 2010

La bavure

La police a déguisé une agression en accident Nicolas Bokov, membre du PEN-club français, à la sortie de l’Hôtel-Dieu le 13 septembre 2010. Agressé par deux voyous, frappé au visage et aux côtes, il a été mis en garde à vue. L’agression Dimanche 12 septembre 2010. Paris 16° après 23 h. Je retourne à Paris avec mon amie T…, après avoir passé l’après-midi à Fontenay-aux-Roses, chez L… Je dépose T… devant l’entrée de mon immeuble avenue Dode de la Brunerie et pars chercher une place où garer ma voiture. Comme d’habitude, je sors sur la place de la Porte de Saint-Cloud et m’engage tout de suite à droite, Boulevard Murat. Je roule lentement, en espérant un emplacement libre… Le premier feu rouge protège l’av. M. Doret à sens unique, le deuxième, la rue A. Ferry. C’est ici que mon attention est attirée par deux scooters circulant d’une façon provocante et chaotique, l’un étant occupé par deux personnes, un jeune homme et une fille. Le deuxième scooter, avec un jeune homme seul, se trouve à côté de ma voiture, dont la fenêtre est ouverte. Je ne sais plus pourquoi et comment une altercation fut déclenchée. J’ai été surtout étonné par le ton agressif et haineux du motard, étrange dans l’ambiance d’une rue paisible ; par un bruit spécialement « intimidant » des moteurs… Le scootériste « X. » prononça des injures que je n’ai pas retenues… L’expérience montre qu’une attitude réticente dans des circonstances semblables risque d’encourager l’agresseur ; je dis donc sur un ton grave : « T’es malade, ou quoi ? T’es malade !» D’habitude, une riposte verbale marque une distance, et la situation de conflit s’évanouit. Mon analyse, cette fois, se révéla mauvaise. Le scootériste X. s’approcha et me frappa à la figure par la fenêtre ouverte, m’arrachant mes lunettes… (Plus tard les policiers parleront des éclats de verre sur le siège gauche ; en effet, le verre gauche manquera dans mes lunettes… ainsi s’explique, je pense, une observation dans le Certificat Médical établi la nuit même à l’Hôpital Ambroise Paré : « …plaie de 0,3 cm sur l’aile du nez gauche ».) Ensuite, les jeunes gens étaient repartis tout droit par le Boulevard Murat ; celui-ci tourne très vite à gauche, étant prolongé en ligne droite par la rue du Général Niox. Sous le choc et sans lunettes, ma conduite était devenue incertaine. Les scootéristes cependant s’amusaient à accélérer et à freiner brusquement, créant des moment toujours plus dangereux. Sans lunettes, je pouvais les heurter à tout instant… Enfin, j’ai pu tourner à droite, sur l’avenue du Général Malleterre, les laissant devant moi dans la rue du Général Niox descendant vers le quai Saint-Exupéry. Moi, j’ai cru l’incident terminé ; à ma défaveur, certes, avec une figure toujours plus engourdie ; d’autre part, j’ai ressenti un soulagement ; enfin, après 65 ans on a la sagesse de recevoir des coups sans s’apitoyer trop… Quoique très choqué, j’ai dû continuer à chercher une place pour garer ma voiture. Mais non, le scootériste X… voulait un triomphe total… Il m’a rattrapé à la fin de l’avenue du Gén. Malleterre où elle fait coude avec la rue de la Petite Arche, a dépassé ma voiture et a garé son scooter devant elle, de telle façon que je ne pouvais plus rouler sans le heurter. Puis X. a couru vers ma voiture et a ouvert la porte côté conducteur. Il a essayé de me tirer à l’extérieur, mais la ceinture de sécurité ne le lui permettait pas. Il a appelé son copain : « Michel, [je ne suis pas absolument sûr de prénom. -- N.B.] viens m’aider ! » Leurs intentions étaient évidentes : me battre encore et avec plus de dextérité, à l’extérieur de la voiture et par terre, avec peut-être les pieds. Et justement, j’ai reçu un coup de pied dans les côtes ! Un autre scootériste, Y., était là. Enragés, ils essayaient d’arracher la porte de la voiture coté conducteur. Leur copine hurlait. C’est à ce moment que j’ai eu cet « instinct »: « il faut les priver des moyens de s’enfuir ». J’ai démarré ma voiture et j’ai poussé le scooter qui tomba par terre. Et ça a changé la donne ! X. a couru vers son scooter, j’ai eu une seconde précieuse pour fermer la portière et la bloquer. Et cela m’a peut-être sauvé la vie… Car X. est revenu vers la porte et, dans une rage littéralement bestiale, il portait de coups de pied contre elle. (Le lendemain, médusé, je prendrais une photo d’une fosse dans la porte, de 50 cm de diamètre et de 10 cm de profondeur…) À ce moment, j’ai déclenché le klaxon et l’ai gardé appuyé malgré les cris hystériques des scootéristes, « Arrête de klaxonner ! » et malgré le hurlement de leur copine. Les habitants de l’immeuble commençaient à arriver ; un homme de couleur a pénétré dans ma voiture par la porte droite, criant : « Arrête de klaxonner, tu réveilles ma fille !!! » – « Pas avant l’arrivée de la police ! Appelez la police ! » – ai-je répondu. Une dame âgée en robe de chambre a fait l’apparition dans la portière droite : « La police, elle arrive ! » Effectivement, j’ai vu arriver les voitures de police derrière la mienne, et j’ai arrêté de klaxonner, sentant le danger disparaître. La garde à vue Tout de suite, la police m’a proposé de « souffler », ce que j’ai fait… C’était « positif ». Alors, je suppose, la police s’est fait une idée d’après ce qu’elle voyait : un conducteur a bu et a renversé un motard. Le terme d’ « accident » était mis en circulation : « Alors, comment s’est produit cet accident ? » – J’ai rétorqué : « Il n’y avait pas d’accident, messieurs, j’ai été agressé, et c’est en acte de légitime défense, me sentant en danger que j’ai poussé le scooter ! » Les policiers m’ont demandé de souffler encore une fois, à pleins poumons, pour pouvoir définir le niveau de l’alcoolémie… J’essaie, mais une douleur intense m’empêche à respirer… « Je ne peux pas… » (Dès ce moment, s’installe la thèse de mon refus de souffler qui persistera…) On me vide les poches. On me conduit à un petit bus policier, et à cet instant mon portable sonne. C’est T… qui s’inquiète de ne pas me voir rentrer plus d’une demi heure après notre séparation. « J’ai été agressé, à deux cents mètres, à gauche en sortant…la police est déjà là ! » – « Arrêtez de parler ! » crient les policiers, et l’un deux m’arrache le portable. « Attendez, dis-je, prenez ma serviette dans la voiture, tous mes papiers sont dedans ! » Ils vont la chercher et, de retour, parlent entre eux des éclats de verre sur le siège. J’ai l’intuition qu’il s’agit de mes lunettes. On me ramène au poste de police rue de la Faisanderie, toujours dans mon 16° arrondissement, réputé bourgeois et calme… seulement les fils dorés de la bourgeoisie sont toujours plus mouvementés… se sentent toujours plus puissants… Une fouille personnelle, une liste des objets… Les locaux ne sont pas propres, les cellules non plus… un homme magrébin dort à l’intérieur. En route ! C’est pénible de sortir et de descendre, je ne peux pas lever le pied assez haut, pour monter justement dans le bus… j’invente une technique pour l’occasion : je monte sur les genoux, et tout va bien. Les policiers commencent à ressentir quelque chose, ce sont quand même des Français… ils veulent parfois aider, mais je ne sais pas les guider : tous les efforts de mon corps retentissent par une douleur dans les côtes. La police me ramène aux urgences de l’hôpital Ambroise Paré à Boulogne-Billancourt. Une prise de sang vite faite, justement pour voir l’alcoolémie. (Le lendemain, à 17 h, on ne saura pas encore les résultats de l’analyse, mais CEI, « conduite en état d’ivresse », figure dans tous les papiers qu’on veut que je signe ; je refuse de signer justement à cause de l’absence des résultats d’analyse.) Ensuite, la radio de mes pauvres côtes… Non, il n’y a pas de fracture… un hématome, seulement… pas la peine de le laisser à l’hôpital… Cette première équipe de police arrivée sur place est plutôt méfiante à mon égard. Pas de fracture, donc ? Alors, allez, allez ! Mais je marche péniblement ; je dois trouver une bonne position sinon j’ai une douleur intense, une sorte de serrement douloureux dans les côtes. « Faites pas le cinéma ! » dit un policier. « Le médecin a ordonné 6 jours de soins ! – dois-je riposter. C’est une blague, ou quoi ? » En sortant, je vois T… Dites moi une autre joie aussi intense que de voir un visage humain et compatissant dans la foule indifférente et curieuse… Je lui envoie un baiser aérien et demande d’avertir Z…, « notre radio », et K… – deux écrivains amis, – justement, pour essayer de trouver une parade à un « scénario policier » si s’est bien le cas… Retour à la Faisanderie et puis, un voyage au commissariat principal, rue Mozart, et la mise en cellule. Plus tard, on la nommera « cellule de dégrisement », sur un ton d’importance : « vous voyez, il fallait le faire dégriser… » Est-ce une partie du scénario ? Les policiers, sont-ils convaincus vraiment que c’est un banal accident de la route dont je suis responsable ? Ou bien sont-ils obligés de monter un spectacle, pièce par pièce, décor par décor ? Le sauvage scootériste, est-ce un garçon comme les autres, avec ses sautes d’hormones non utilisées… Ou bien quelqu’un qui a déjà goûté à la puissance (de ses parents ?)… Et il est conseillé quelque part très haut de ne pas le punir, pour ne pas briser cette jeune volonté vers une promotion suprême… Deux heures plus tard, retour à la Faisanderie. En cellule avec ce pauvre magrébin qui dort et qui retire amicalement ses pieds pour que je puisse m’asseoir : il n’y a qu’un seul lit, une sorte de corniche en béton. Il me propose son deuxième matelas, pour le mettre par terre. Hélas, je ne peux pas m’allonger à cause du mal dans les côtes… Vers 6 h du matin arrive un officier, capitaine… Je ne me souviens pas de son nom que j’ai lu en tête du papier qu’il veut que je signe, une sorte de PV… Mais il y a tant d’inexactitudes, y compris mon statut officiel en France (je suis réfugié apatride ex-soviétique), que je lui rends ce papier : « Monsieur, on ne signe pas de papiers pareils… » – Sans insister, il dit, sur le ton de « tu vas le regretter » : « Comme vous voulez ! Je vais noter que vous avez refusé de signer ! » Il annonce mes droits : consulter un avocat, demander à voir un médecin, avertir mes proches ; ainsi ma garde à vue est notifiée… « Bientôt, le commissaire viendra vous auditionner. » Oui, je veux tout : consulter un médecin, d’abord, parce que j’ai mal… – Non, d’abord l’avocat. D’office, puisqu’en toute apparence vous n’avez pas d’avocat attitré ? Si ? Non, bien sûr. – Avertir mes proches. – C’est fait, ils savent où vous êtes (il se révélera que toujours pas : T… était obligée de chercher par téléphone et d’insister…) Donc, un avocat d’office. Une dame policière vient balayer la cellule dont le sol est couvert des papiers, de morceaux d’emballages, de… L’avocat arrive, Me F…, intelligent, sympathique, connu des policiers, ils se saluent. On cherche où nous installer. Ici ? Mais… Là-bas ? Finalement, dans un coin derrière une murette, avec une table et deux chaises. Un ordinateur. Le Maître m’explique qu’il n’a pas accès aux procès-verbaux, sa tâche est d’observer la procédure… qu’elle se déroule correctement… Avertir mes proches ? Non, il n’a pas le droit. Mais ils ont dit qu’ils les ont avertis ? Alors, ils le feront, c’est sûr… Il dit une chose que je ne savais pas : la loi française n’interdit pas de mentir… Ni de garder le silence. Je demande si je peux avoir un code pénal dans ma cellule, pour ne pas perdre de temps… Il s’amuse : vous savez, c’est un pavé ! Je doute que vous soyez autorisé à en avoir un dans votre cellule… Et une dernière chose : lisez attentivement tout ce qu’on vous donnera à signer… Retour à la cellule. Une femme forte sort le magrébin pour la toilette (rasage ? coiffure ?) Encore un autre, un nom d’origine ukrainienne, de la cellule voisine… (serait-il de la bande qui m’a attaqué ? Qui sait ? Les noms sont appelés à voix haute …) Sur le mur, je découvre des mots et des phrases des habitants précédents. Un mot russe : мать. (ta mère…) Ah, voilà un homme en civil qui demande à ouvrir la cellule. Le commissaire (Maigret ? peut-être, il n’est pas obèse…) qui veut m’auditionner. Comment faire ? Bon, on parlera ici, dans le coin du couloir, et ensuite il tapera le brouillon et passera me le faire signer, et puis on me ramène chez un médecin. Je raconte ce que vous avez déjà lu au début, dans le chapitre « L’agression ». Il note tout. « Vos versions sont à l’opposé, dit-il. On procédera à la confrontation… Mais d’abord nous allons monter dans mon bureau pour taper et signer… » Il faut que je monte un escalier en colimaçon… Décidément… J’essaie quant même mais le commissaire change vite d’avis : d’abord, chez le médecin, et puisque je serai, très vraisemblablement, retenu à l’hôpital, il y passera pour me faire signer le procès-verbal de l’audition. Et le procureur décidera de ma garde à vue… s’il faut la prolonger ou pas… Il est 10 h du matin environ. Le bus policier. Les gardiens échangent leurs avis : faut il lui mettre des menottes ? Non… Oui ? Pas la peine… Dommage : je voudrais avoir « toutes les sensations », c’est le métier (d’écrivain). Mais ils ne veulent pas être ridicules : menotter un type qui s’assoit difficilement en grinçant des dents… Des bribes de dires, j’apprends que le sauvage avec son scooter est connu de la police… Cette affaire n’est pas sa première… Moi-même, je pense, à cause de ses coups de poing et de pied, rapides et précis, que c’est un sportif à la dérive… Entraîné à la boxe française, la savate… Touché probablement par une drogue moderne, sur laquelle j’ai lu récemment un article : elle rendrait son consommateur terriblement haineux… Avec moi, il est vrai, il n’a pas traîné la savate ! On roule… L’avenue du maréchal Foch… Évitant les Champs-Élysées, on arrive au poste de police qui occupe le coin du Grand Palais. Je n’ai rien mangé depuis 22 heures. Rien ne m’a été proposé, bizarrement. La soif, j’ai pu la soulager deux fois… À la Faisanderie, on indique un tout petit lavabo, mais on ne donne pas de verre, même en plastique… Pour mieux faisander, peut-être… Là-bas, j’ai bu dans le creux de ma main. Depuis le poste du Grand Palais j’ai un compagnon, monsieur P…, âgé, lent, bonhomme, mais en menottes. Il a l’air d’un ancien prisonnier en retraite. Les urgences de l’Hôtel Dieu. Le fleuron de la charité catholique et de la médicine… On va attendre, attendre, attendre… Depuis 3 heures, on attend l’avis du médecin sur une éventuelle admission. Les policiers se relèvent, voilà que deux filles policières me gardent, elles bavardent de tout… Voyant mon œil bien entouré, l’une dit : « Ha ! Il ne l’a pas manqué! » Cette remarque, faite sur un ton professionnel et presque approbative, comme celle d’un fan de football, me fait rire, mais le rire me fait mal aux côtes… voilà une situation si chère à la littérature russe : le rire devient des larmes… « Vous faites quoi dans la vie ? » Je leur dis que je suis écrivain. Tout de suite, la gardienne de la paix si sympathique sort un mini-ordinateur et me trouve sous toutes les coutures (« et sous toutes les sutures », ajouterait l’écrivain Z…, plaisantant.) « Tiens, vous êtes connu ! Sur quoi écrivez-vous ? Nous, nous ne sommes pas très livre… Comment on écrit ? » – « Par exemple, cette histoire à moi, dis-je, peut-on en tirer quelque chose ? » Elle reste dans le doute : que peut-on faire de ce bleu ? On attend qu’un box se libère. Monsieur P…, mon voisin de bus, est chargé de laver ses pieds. Il dispose d’une bassine, il lave ses doigts déformés, lentement, obéissant, un peu indifférent. Il les essuie avec une serviette en papier. Les policiers regardent le spectacle, et moi aussi, entrant dans les détails de ses efforts minutieux… Après avoir lavé ses pieds, il prend l’initiative de laver ses chaussures, une sorte de galoches de jardin. Il est très appliqué et bonhomme, ce tableau d’une vie paisible en captivité nous attendrit tous… Mon tour, enfin. On me ramène faire une radio des côtes, encore une… Les couloirs de l’Hôtel-dieu, ces méandres… Le fauteuil roule vite, poussé par un jeune infirmier. Ici, la jeunesse s’occupe à réparer le dégât fait par la jeunesse ailleurs… Puis, le retour dans le box d’examen. Un médecin vient m’ausculter, palper… « Pas de fracture, mais… Si dans deux semaines vous n’avez pas le rétablissement complet… vous l’aurez dans un mois. » L’infirmier vient conduire mon fauteuil, les deux paires de rangers martèlent le marbre derrière. On prend l’ascenseur. Une voix féminine annonce les étages et les services. « Tiens, ils ont un ascenseur chic, avec un GPS ! » dis-je. Un policier pouffe. Moi, je ne peux pas, peux plus… Plus je ne peux plus, plus j’ai sommeil. Nous allons attendre à la réception le médecin responsable du secteur de la garde à vue. Le temps d’aller aux toilettes… Les deux gardiens costauds de la paix si fragile restent à l’entrée, me laissant clopiner vers le dernier refuge… L’ampoule a grillé, je dois être sur mes gardes, car la vue ne me sert plus à rien… Garde à ta vue… et à tes lunettes surtout, la prochaine fois cherchant où te garer dans le 16ème… Et enfin. L’étage dans les combles. Un gardien avec une énorme clé, et derrière la porte, les barres noires d’une grille. Bonjour, ma petite Russie au milieu de la France… Monsieur P… m’a dépassé de beaucoup, je le vois dans une cellule d’en face, déjà au lit et mangeant sur une tablette. Ma cellule, toute propre et pauvre. Un lavabo et une cuvette derrière une murette d’un mètre. Les fenêtres dans le toit en pente avec des carreaux opaques. « Déshabillez-vous. » Oh, vous avez vieilli, réfugié politique apatride ex-soviétique… « Vous pouvez vous allonger… » Ceci me prend tout mon temps : je n’arrive pas à monter sur le drap jaune de l’hôpital, cependant si propre et frais… Chaque mouvement me coince… Je tourne atour du lit, comme le Renard avec son Raisin… Enfin, gémissant, je suis à plat et prêt à être emporté dans les bras de Morphée… La serrure fait un bruit de tonnerre : une infirmière vient me prendre ce qui me reste encore, la température… et mesurer ma pression artérielle… Et je m’endors. La serrure claque. Deux dames entrent, en civil, de vraies parisiennes, fraîches et maquillées. « Je suis officier de justice ! Je vous notifie la fin de la garde à vue ! Vous aller lire et signer ça ! » L’autre ne se présente pas. Des feuilles blanches. « Deux mil dix… Le 13 septembre… à 17 heures (avec minutes, peut-être.) » Et ça recommence : CEI… Conduite en état d’ivresse… « Ah ! Vous avez donc les résultats des analyses ? » – « Pas encore… » – « Alors, ma signature peut attendre les résultats… » Madame l’Officier, elle ne peut pas : toujours plus irritée, elle prend le stylo : « Mais vous êtes seulement soupçonné ! » – « Cependant, il est imprimé : CEI… » – « Alors, voilà, j’écris : soupçonné de CEI ! Signez ! » Justement, cette pression ne me plait pas. Pourquoi ne pas attendre un papier en bonne et due forme, avec les irréfutables résultats de l’analyse… Qui ne sont toujours pas là, 17 heures après la prise… de mon sang… « Non, Madame, je ne peux pas signer tout ça… » « Mais votre accident, où vous avez renversé le scooter… » Ah ! C’est donc ça ! « Madame, ce n’était pas un accident… J’étais en légitime défense… » – « Avant d’utiliser des gros mots, il faut savoir ce qu’ils signifient ! » Non, ma signature va attendre. Malgré une allusion que la garde à vue peut être prolongée. Soit. « Vous faite pression sur moi, Madame, et ceci justement m’empêche de signer… » « Mais vous allez signer la restitution des objets personnels ? » Voyons. Mes carnets, papiers, l’argent… Téléphone… Ça, c’est signable. Mais à quoi bon si je reste en garde à vue ? Je signe. Les dames se lèvent. « Voilà votre serviette… » Et puis l’officier sort un petit carton rouge. « Voici votre permis ». Alors, ça ! Il n’y avait donc pas de CEI… Pourquoi alors cette insistance pour que je signe ? On n’est pas quand même au pays de Poutine où le faux est le pain (plutôt caviar…) quotidien des fonctionnaires ? Ou alors j’ai été vraiment clairvoyant dans mon petit livre, Où va la Russie, et la France avec elle ? Le gardien, souriant, apporte la caisse avec mes affaires. M’habiller prend du temps… Un infirmier est appelé pour conduire mon fauteuil… en « état d’ivresse » ? non, bien sûr, mais en état de mélancolie… professionnelle, énigmatique… Ma sortie de l’hôpital s’accélère… comme avant, mon entrée se ralentissait… Je suis devant le comptoir des Urgences. Les papiers, l’ordonnance, le cliché de la radio. Non, le deuxième, de l’Hôtel Dieu, ils vont le garder… Partez. « Puis-je téléphoner… pour dire à mes proches où venir… » Le guichetier sort un appareil ancien et le branche : voilà… rappelez… Donc, Z… il n’est pas là. Je laisse un message. Je veux téléphoner aussi à T… mais le guichetier est vigilant : « Vous ne pouvez pas téléphoner à tout le monde… » Une dame qui attend me regarde : un vieux avec un bleu sous l’oeil… dans un fauteuil… Elle compatit… Elle me propose son portable : « Voilà, téléphonez… » La solidarité des humains est encore là. J’entends la voix de T…, à l’instant soulagée : « C’est toi ! Enfin ! J’arrive ! » Mon portable sonne presque tout de suite. C’est Z… il viendra nous chercher à l’Hôtel-Dieu. Merci, Seigneur.

Nicolas Bokov,


PEN-club français


Paris, le 14 septembre 2010


Poste Scriptum Sur la suggestion de B… je contacte Paris Aide aux victimes (015306 8350). Une dame m’explique gentiment la procédure juridique dont j’ai déjà une idée. Elle m’invite à lire attentivement le Certificat Médical Descriptif Initial délivré par l’hôpital Ambroise Paré. Et ici, j’apprends des choses. Je lis :


Ces lésions entraînent : - Un arrêt de travail de jours, - Une mise en soins pendant 6 jours, - Une ITT (Incapacité Temporaire Totale) de jours. Sous réserve de complications ultérieurs toujours possibles. La nombre de jours d’arrêt de travail n’est pas indiquée, ainsi que de l’ITT. Et cette dernière clause qui est importante : si elle comporte 10 jours et plus, c’est la police elle même qui déclenche l’enquête. Si c’est moins de dix jours, ça revient aux bons soins de la victime. Et s’il n’y a rien comme dans mon cas ? Une sorte d’arrangement entre deux services publics, l’hôpital et la police ? En tout cas, pour le premier de mes 6 jours de soins, on me mettra dans une cellule, et pas du tout médicalisée ! Je constate, maintenant, que je n’ai pas reçu les papiers de l’Hôtel-Dieu ; je ne dispose que d’une ordonnance pour les médicaments… pas d’autres traces de mon hospitalisation sous la garde à vue ni de la radio de mes côtes… (Seulement celle d’Ambroise Paré…)


Et encore cette photo prise à la fin de la garde à vue… T… s’indignera : « Cogner au visage quelqu’un qui porte des lunettes, ça revient à tirer sur l’ambulance ! » Dieu merci, je peux maintenant rire sans me faire du mal…


071010


II


GARDE A VUE N°2 (LE 30 NOVEMBRE 2010)


Je suis convoqué par Monsieur L… au poste de la police rue de la Faisanderie (16°) « pour affaire vous concernant ». Je n’ai pas répondu à son appel téléphonique, il téléphona sur le portable de mon amie Mme T… ce que je trouve un peu déplacé. Ce mardi je suis accompagné d’une avocate, Mlle M… puisque j’ai décidé de porter plainte ; j’ai enfin compris que sans cela je ne peux pas être reconnu victime de l’agression. Très vite, à notre apparition, j’entends : « A la garde à vue ! » Le visage de l’avocate prend une expression de perplexité. Moi, je suis choqué, un sentiment d’absurdité m’envahit : on m’arrête donc, provisoirement, pour une raison inconnue… Suis-je accusé ?… Il est claire, cependant, que c’est un moyen de m’intimider, de faire pression. On me mène en bas, on me fouille. On me fait enlever les lacets de chaussures et la ceinture. Cette dernière obligation, paradoxalement, me donne du courage : je me souviens tout de suite que notre grand poète Mandelstam, arrêté par le KGB aux années 30, était passé par « une histoire de lacets » ; ainsi, sur le tard, dans un autre pays, je me solidarise, en quelque sorte, avec ce génie de la littérature. Un autre résultat de cette « garde à vue » « moqueuse » est l’absence totale de désir de collaborer avec la police. Une jeune dame policière veut que je signe un procès verbal quelconque (de la mise en garde à vue ?) que je ne veux pas même lire. D’ailleurs, tout de suite je vois des inexactitudes… Mon titre complet de « réfugié apatride ex-soviétique » n’entre même pas dans la case de l’ordinateur… Il faut sacrifier un élément mais lequel ? Le ton des policiers monte… C’est M. L… qui va m’auditionner… plutôt interroger ? Plutôt, un présumé coupable ? « Je veux d’abord parler de l’agression, dis-je. – Sûrement pas ! » – coupe-t-il. Des questions – si je veux voir un médecin, ou un avocat… Oui, puisqu’elle est là ! On me ramène ainsi que l’avocate dans une chambre minuscule avec deux chaises et une table équipée d’un moniteur. Finalement, de cette conversation, je conclue que la police s’intéresse surtout au fait que j’était « positif » au volant le 12/13 septembre 2010, dont les résultats sont enfin là, deux mois plus tard. Quant à l’agression, la police l’ignore bien qu’elle ait le certificat de mes blessures établi par l’hôpital Ambroise Paré et elle-même m’a ramené à l’Hôtel-Dieu où je fut hospitalisé. Finalement, je dis à l’avocate que je refuserai de parler de mon alcoolémie si on ne parle pas de l’agression. Elle va discuter de ça avec les policiers, me soufflant un dernier conseil « d’être gentil avec les policiers pour qu’ils soient gentils » avec moi. Je suis désorienté car mon attitude envers l’enquête est plutôt l’observation minutieuse de chaque détail. L’audition, donc. Des questions qui sautent d’un sujet à l’autre… Je comprends enfin le scénario que M. L… veut imposer : c’est moi qui aurait harcelé les garçons en scooter ! Il omet le début du conflit, d’abords verbal, devant le feu tricolore où j’ai reçu un coup de poing au visage, un verre de mes lunettes se brisa. Je sors une feuille de papier sur laquelle se trouve la première partie de ma « Mémoire sur l’agression » établie le 14/09. « Donnez-moi ça ! Vous deviez la rendre puisque vous êtes en garde à vue ! » – et il me l’arrache et la jette sur l’appui de fenêtre ! On passe directement à l’épisode que j’appelle « ma légitime défense ». Ce terme la police déteste particulièrement et l’avocate m’a conseillé de l’éviter : lorsque l’un des agresseurs ouvrit la porte de ma voiture, me porta un coup de pied et essaya de m’extraire, auparavant ayant garé son scooter devant ma voiture, à ce moment-là je démarrai ma voiture et poussai le scooter, n’obéissant qu’à l’intuition que cela changera la situation. Ce ne fut donc pas du tout un accident de la route mais un geste conscient et volontaire d’autodéfense ! (Cependant, l’assurance m’a déjà envoyé une lettre qui me reproche de ne pas « avoir signalé un accident survenu le… 2 novembre 2010… » quoique ma voiture reste immobilisée depuis le 13/09/10… Je reproche à M. L… d’avoir avancé la version d’un accident sans m’avoir même auditionné sur les faits. M.L… dit « de ne pas être au courant ». Y a t il encore quelqu’un qui s’occupe de mon affaire ?) Monsieur L… m’informe que l’agresseur n’a pas été soumis à un test de dépistage des substances illicites dans le sang (drogues, excitants, …) Selon le scootériste dont la version plait mieux à M. L…, j’aurais percuté le scooter et l’aurais traîné sur 15-20 mètres (pourquoi alors il n’y a rien sur l’avant de ma voiture ? Mais on n’a pas le temps d’aller vérifier les choses…) Enfin, c’est la version de M. L… qui est inscrite dans la plainte que j’ai signé. La version incomplète, tronquée et défigurée… (« soyez gentil… ») Je suis plaignant mais je ne dispose pas d’exemplaire de ma propre plainte ! Dans mes affaires on trouva mon permis et me le confisqua. Il est midi passé. On me renvoie en cellule, partager la compagnie d’un frère africain qui dormait par terre. Je somnole. Vers 13 h 30 M.L… revient. Fatigué, je signe la convocation au tribunal pour le 24 janvier 2011 sans l’avoir lu en pensant que c’était un papier « technique » m’assignant tout simplement à venir à un lieu et à telle heure. Mais non ! L’avoir lu à la maison je deviens amère : Monsieur L… a insérer dans la formulation que le scooter avait été traîné par terre… Un détail de taille oublié : le policier L… ordonne de me prendre des empreintes digitales ce qu’une dame policières exécute.


Nicolas Bokov


Paris, le 3 décembre 2010


Video: Les lunettes brisées... La voiture cabossées par le voyou... L'avant de la voiture intact, malgré la thèse policière d'un "accident"...